Pourquoi un roman noir se passant à Nancy ?

Parce que j'y suis né et que j’y ai longtemps vécu. Parce que je l’ai fuie.

Parce que les « terroristes » de Tarnac agissaient en province, si toutefois ils agissaient.

Et surtout parce que c’est ce qu’il advient du signifiant (le retour).
Le signifiant géographique, en l’occurrence. Tout roman français se passe par défaut à Paris. Toute autre localisation introduit du sens, assez grossièrement. Par exemple, Marseille = soleil + accent + pastis. Ou Nord = accent + grisaille + prolétariat. A un niveau secondaire, Nice = Jean-Claude Izzo, car celui-ci a donné du sens à sa ville, et il devient ensuite possible d’être nuancé.

Autrement dit, un roman qui montre Tours, Nancy ou Limoges doit expliquer ce choix et sa polarisation par rapport à la capitale. Si son auteur a autre chose à foutre, il le situe à Paris ou dans un lieu anonyme. Car le signifiant-ville produit du sens lourdement et fastidieusement.

Or Nancy ne signifie presque rien. C’est l’Est, c’est gris et triste, et ensuite ? Le Bordelais cultivé pensera au mieux à ce que dit la première page de Je suis un terroriste : la « patrie des mirabelles et des macarons, de Stanislas et de Rossinot, de Virginie Despentes et de C. Jérôme. » (Cliquez svp.)

Par ces mots s’expriment les clichés. Pour le reste, Nancy est parfaite pour des marginaux, des ratés, des velléitaires qui ont préféré picoler et se la couler douce que se mettre au boulot pour satisfaire leurs ambitions : une nana qui photographie des pigeons crevés ; un guitariste et un chanteur rock, dont un mort ; un intellectuel espérant que ses fanzines postmodernes seront lus au Café de Flore. En bref, ils sont ridicules.

Nancy est donc parfaite. A trente piges, ces ratés peuvent continuer à croire à leurs rêves. Avec des aides sociales ou des boulots merdiques, n’importe qui se paie un 35 mètres carrés. Ils n’ont pas besoin de s’arracher les tripes pour gagner 1500 euros, contrairement aux Parisiens, car ils ne courent aucun risque de finir à la rue. Ils continueront simplement à picoler et à rêver, à lire des polars ou de la philo, regarder leurs DVD, voir du rock gratos dans des bars pourris, et à s’énerver contre ce monde dégueulasse. Ils éprouveront même, jusqu’au cancer ou à l’AVC, une forme cynique de bonheur.

Ou bien ils se trouveront minables, et décideront de flinguer des riches, par exemple.